Paris, 21-22 avril 2020
Le CEPED (France), le CESSMA (France), l’Université spécialisée VID (Norvège) et l’Université de Dalarna (Suède) souhaitent inviter les chercheurs travaillant sur l’histoire de l’éducation en Afrique, du Maghreb à l’Afrique du Sud, à participer à une nouvelle journée d’étude internationale consacrée à « L’histoire de l’éducation de la colonisation aux décolonisations en Afrique (années 1920 - 1970) » laquelle débouchera sur la publication d’un ouvrage.
Veuillez envoyer un résumé (1500 signes) de votre proposition avant le 17 janvier 2020 à for.an.education.network@gmail.com
Les auteurs des propositions sélectionnées seront informés avant le 7 février 2020 et invités à participer à une journée d’étude qui se tiendra à Paris les 21 et 22 avril 2020 et sera consacré aux histoires vécues en lien avec les pratiques éducatives, de la colonisation aux années suivant immédiatement les indépendances en Afrique (1920 - 1970). Les contributeurs devront soumettre leur article complet (6000 mots) avant le 31 mars 2020 pour la journée d’étude et dans la perspective du volume.
Le livre sera édité par Lars Berge et Ellen Vea Rosnes chez un éditeur anglophone. Avec cet appel à contribution pour la journée d’étude et l’ouvrage, nous visons à rassembler des chercheurs et chercheuses travaillant sur l’histoire de l’éducation et à renforcer ainsi le réseau international que nous avons déjà réuni en mai 2019 à Paris.
Par histoires vécues, nous entendons des histoires de l’éducation historiquement documentées à partir de documents d’archives qui n’ont pas encore été découverts ou d’histoires recueillies à partir de témoignages oraux ou écrits (romans (auto)biographiques, mémoires, contes etc.). Les histoires pourront être racontées du point de vue des différents acteurs mais une attention particulière sera accordée aux voix qui ont été marginalisées. Nombreux et nombreuses étaient les hommes et femmes impliqués dans les systèmes coloniaux et postcoloniaux d’éducation en Afrique : les élèves, les parents, les enseignants, les décideurs, les conseillers ou observateurs internationaux, les fonctionnaires dans les colonies ou dans les métropoles, les éducateurs laïcs ou religieux.
Dans les sociétés coloniales fortement hiérarchisées et ségréguées, les processus de marginalisation ou de subalternisation peuvent être abordés sous l’angle des dynamiques relationnelles entre ces multiples acteurs. Les institutions qu’ils représentent peuvent relever de structures historiques plus ou moins anciennes, renvoyant aux cadres sociaux, politiques ou religieux : un État, une puissance coloniale, une organisation islamique, une société missionnaire chrétienne, la famille, la région, la municipalité ou le village. Ces institutions ont contribué de différentes manières à la structuration des institutions scolaires œuvrant dans le sens de la colonisation mais aussi de la décolonisation. Elles étaient souvent liées les unes aux autres. Les établissements d’enseignement étaient les principales zones de contact entre les colonisateurs et les colonisés, les élites coloniales puis nationalistes et les peuples en général. Le concept de « zone de contact » a été introduit par Marie Louise Pratt en référence aux « espaces sociaux où les cultures se rencontrent et s’affrontent souvent dans des contextes de rapports de pouvoir très asymétriques » (Pratt, 1991, p. 34, notre traduction). Tous les acteurs ont été, de différentes manières, affectés par les rencontres que suscitaient ces zones de contact. Dans un contexte de décolonisation puis de construction nationale, les positionnements individuels vis-à-vis de l’école et les formes de loyauté créées par celle-ci ont joué un rôle important qu’il s’agit d’étudier.
Dans le sillage de la recherche postcoloniale actuelle, ce projet de journée d’étude et de livre mettra l’accent sur le fait qu’il existe de multiples récits co-existants et en interaction (Chakrabarty, 2009). L’étude des « concurrences » vise à rendre compte de la pluralité des récits (Fur, 2017) et de leurs enchevêtrements. Les concurrences induisent le dialogue, la multidisciplinarité et la collaboration. Il s’agit de trouver et de raconter différentes histoires simultanées en sachant que chaque histoire est racontée dans une certaine perspective.
La contribution des établissements d’enseignement au projet colonial dans différentes colonies a déjà été bien documentée mais des études nuancées et contextualisées (dans le temps, l’espace et les zones de contact) doivent encore être réalisées. Les romans illustrent bien le fait que l’éducation a participé à la prise de conscience qui a conduit aux mouvements de décolonisation. L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, L’enfant noir de Camara Laye, La rivière de vie de Ngugi wa Thiong`o, les Mémoires d’un militant du Tiers Monde de Mamadou Dia et When We Were Young de S.O. Biobaku en sont des exemples. Les écoles coloniales ont formé les futures élites nationalistes et les dirigeants des partis indépendantistes. L’école est une institution particulièrement pertinente pour observer et comprendre la « rencontre » coloniale, les contradictions, les conflits, les négociations et les processus de domestication à l’œuvre. Les systèmes éducatifs visaient à favoriser la construction d’identités individuelles ou collectives et celle de sentiments d’appartenance afin de s’assurer de la loyauté des sujets puis des citoyens ; ceci en accord ou non avec les modes de vie et les aspirations des populations.
Depuis les années 1960, l’histoire de l’éducation a abordé nombre de sujets. La recherche s’est souvent concentrée sur les politiques éducatives et sur la manière dont les sociétés colonisées se sont appropriées l’école en l’adaptant à leurs propres intérêts. Les enseignements, les relations pédagogiques et les formes de sociabilité au sein des écoles ont également fait l’objet de recherches. Ces recherches ont permis de mieux comprendre comment l’éducation a été intégrée et a participé à la racialisation des sociétés colonisées, à la formation de nouveaux ordres de classe et de genre, à la construction de nouveaux groupes et hiérarchies. Les études sur les mouvements de décolonisation et les processus de construction nationale ont démontré que les pays nouvellement indépendants ont hérité de systèmes scolaires inégaux, peu développés et désorganisés. Puis, la recherche s’est penchée sur le rôle de la scolarisation dans la formation de nouveaux cadres africains, dans la naissance du sentiment national et dans les tentatives de décolonisation du savoir.
Si ces questions doivent être approfondies par de nouvelles recherches de terrain et des études de cas, d’autres doivent encore être abordées. D’une part, si des recherches approfondies ont été menées sur le rôle des écoles coloniales dans la formation des élites nationalistes et indépendantistes, nous savons encore peu de choses sur la collaboration, les arrangements ou les accommodements entre les puissances coloniales et néocoloniales qui ont permis la reproduction, au-delà de l’indépendance, de formes élitistes de pouvoir profitant aux cadres nationalistes mais au détriment des peuples. D’autre part, l’histoire des acteurs subalternes du système scolaire a à peine été esquissée. Ainsi, s’il existe de nombreuses recherches sur les enseignants européens et sur les élites africaines formées dans les écoles les plus prestigieuses, il nous reste à écrire une histoire sociale des enseignants africains, notamment en milieu rural. Nous devons également nous concentrer sur les élèves, garçons et filles, qui n’ont pas dépassé l’école primaire. Enfin, il y a un manque de recherche sur les revendications et les pratiques des colonisés dans le champ éducatif. Ces revendications ont été exprimées dans des pétitions adressées aux autorités coloniales pour réclamer l’extension du semis scolaire mais des recherches supplémentaires doivent être menées pour les comprendre pleinement. Les colonisés ont également ouvert leurs propres écoles et créé des systèmes scolaires innovants et ambitieux, y compris pendant la période coloniale, soit pour compenser le manque d’écoles, soit pour promouvoir des modèles scolaires alternatifs. C’est le cas des écoles coraniques, plus ou moins intégrées aux systèmes éducatifs gouvernementaux, ainsi que de nombreuses autres initiatives. Jusqu’à présent, ces revendications et initiatives ont été étudiées principalement sous l’angle du nationalisme et du militantisme. Il serait utile de les intégrer dans le champ de l’histoire de l’éducation.
Cette journée d’étude et ce projet de livre favoriseront les contributions qui mettent en lumière la multiplicité des voix et des récits, leur coexistence et leurs interactions, ainsi que la façon dont ils émergent des relations de pouvoir et les remodèlent. Notre objectif est d’inclure de nouveaux outils méthodologiques et théoriques afin de questionner nos pratiques de recherche et de les renouveler. Nous visons une approche critique des archives (Bailkin, 2015). Sources missionnaires, documents produits par les administrations coloniales ou postcoloniales, papiers conservés dans les écoles, manuels, cartes scolaires, lettres, images, cahiers ou dessins d’écoliers : quelles sources utilise-t-on ? Quelles histoires écrit-on grâce à elles ? Comment pouvons-nous poser de nouvelles questions à ces sources et élargir notre documentation ? Que peut apporter l’histoire orale ? Nous pouvons aussi réfléchir aux dialogues que nous établissons, en tant qu’historiens de l’éducation en Afrique, avec d’autres domaines de recherche. Les critiques récentes des philosophes africains de l’éducation (Abdi, 2012), rédigées d’un point de vue théorique, pourraient remettre en question nos études empiriques. De même, comment intégrons-nous les critiques du féminisme occidental par les féministes africaines ? Dans quelle mesure l’histoire de l’éducation en Afrique dialogue-t-elle avec les outils théoriques développés sur d’autres continents, comme les études subalternes en Inde ou les théories sud-américaines de la décolonisation ?
Thèmes suggérés :
- acteurs et actrices d’histoires éducatives en Afrique
- les influences de l’éducation sur les identités et les loyautés (trans)individuelles et collectives
- les impacts de l’éducation sur la vie sociale et économique.
- la circulation des politiques (objectifs, concepts et pratiques) entre les quartiers généraux coloniaux, les universités, les instituts d’éducation et les colonies.
- approche quantitative de l’équipement des écoles en Afrique.
- recherche narrative dans le domaine de l’histoire de l’éducation
- considérations théoriques et méthodologiques sur les concepts et les sources
Merci d’avance pour vos propositions.
Lars Berge, DUCAS, Université de Dalarna, Professeur assistant
Pierre Guidi, CEPED, Université Paris Descartes, Chercheur IRD
Jean Luc Martineau, CESSMA, INALCO, Maître de conférence
Ellen Vea Rosnes, Université spécialisée VID, Stavanger, Professeur associé
Florence Wenzek, CERLIS, Université Paris-Descartes, Agrégée d’histoire et doctorante.
La date limite de dépôt des candidatures est fixée au 17 janvier 2020. Dans votre courriel àfor.an.education.network@gmail.com veuillez préciser vos noms, prénoms, établissement, adresse électronique et fonction actuelle.
Outre les thèmes de votre résumé, sur quels thèmes/pays/questions de l’histoire de l’éducation travaillez-vous ?
Bibliographie
Abdi, A. A (ed.) (2012), Decolonizing Philosophies of Education, Rotterdam, Sense Publishers.
Bailkin, J. (2015), “Where did the Empire Go ? Archives and Decolonization in Britain”, The American Historical Review, 120, 884-899.
Chakrabarty, (2009),Provincialiser l’Europe : la pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Amsterdam.
Fur, G. (2017). Concurrences as a Methodology for Discerning Concurrent Histories. In D. Brydon, P. Forsgren & G. Fur (Eds.), Concurrent Imaginaries, Postcolonial Worlds. Toward Revised Histories (pp. 33-57). Leiden : Brill
Pratt, M. L. (1991). Arts of Contact Zone. Profession, pp. 33-40.