Jeudi 13 juin 2019
14h-18h
Salle 830
Bâtiment Olympe de Gouges
Université Paris Diderot
L’objectif de cette journée d’étude est de placer les espaces maritimes au coeur de nos échanges. Souvent envisagés comme de simples marges des territoires nationaux ou les prolongements d’un espace de souveraineté exercé sur terre, les espaces maritimes peuvent aussi être étudiés comme des espaces autonomes. Il s’agit également d’appréhender la mer non seulement comme une rupture, un obstacle ou une barrière naturelle mais aussi comme un lien, un carrefour d’échanges, voire même un trait d’union entre des civilisations différentes – entre partages et conflits. Les contributions proposées vont notamment permettre d’interroger les rapports entre espaces terrestres et maritimes, les rôles politiques et géopolitiques des mers (affirmation de la puissance, volonté de borner et de fermer les espaces maritimes) ainsi que les projets envisagés pour protéger des écosystèmes marins de plus en plus fragilisés et menacés.
14h -14h10 : Introduction
14h10 – 14h30 : Alexey Kraikovski (HSE de St-Petersburg) : “The Gulf of Finland as a Metropolitan bay of St. Petersburg in the 18th and 19th c. Economy, technology and culture"
14h40-15h00 : Charlotte de Castelnau (ICT), Cathy Chatel (Cessma, Pôle Image) : « Le Brésil colonial, un espace maritime ? Réflexions à partir d’un travail de cartographie historique »
15h10-15h30 : Nona Nenovska (LADYSS) « la gestion des aires marines protégées à la Mer Noire »
15h40-16h : Pause-café
16h-16h20 : Adrien Coignoux (Anhima) : « César et l’Océan »
16h30-16h50 Camille Schmoll (Géographie-cités ) : "Méditerranée : frontières à la dérive"
17h-17h20 : Nathalie Fau (CESSMA) : « Découpages des mers en Asie du Sud Est »
Rappel de l’appel à communication
L’objectif de cette journée d’étude est de placer les espaces maritimes au coeur de nos échanges. Souvent envisagés comme de simples marges des territoires nationaux ou les prolongements d’un espace de souveraineté exercé sur terre, les espaces maritimes peuvent aussi être étudiés comme des espaces autonomes. Il s’agit également d’appréhender la mer non seulement comme une rupture, un obstacle ou une barrière naturelle mais aussi comme un lien, un carrefour d’échanges, voire même un trait d’union entre des civilisations différentes.
Pour traiter de cette question, plusieurs approches sont envisageables :
- Une approche épistémologique : Nommer et découper les espaces maritimes influence la lecture du monde et l’appropriation des territoires. Ce sont ainsi les cartographes occidentaux qui ont segmenté les mers d’Asie et les ont nommés d’après les pays riverains : océan indien, mer de Chine méridionale, mer du Japon etc. Il existe bien évidemment d’autres cosmogonies mais aussi d’autres découpages existants, possibles et passés. Ainsi, comme le souligne Denys Lombard (1990 : 15) pour l’Asie du Sud-Est insulaire « ces grandes îles ne forment en fait des entités que pour l’étranger venu d’ailleurs, et s’il faut bien sûr tenir compte de cette vision externe, il convient aussi d’insister sur l’autre. […] En prenant les étendues maritimes comme zones de gravité, on peut suggérer une autre distribution qui d’un point de vue historique est sans doute plus éclairant ». Comme tout découpage territorial, celui de l’espace maritime résulte autant du fait culturel, géopolitique qu’économique.
- Une approche par la politique et la géopolitique : Longtemps perçues uniquement comme des espaces périphériques, les mers s’affirment comme des espaces privilégiés de la compétition stratégique et économique. L’espace maritime est devenu un enjeu majeur au XXème siècle avec la volonté politique des Etats riverains de se projeter de plus en plus loin vers le large et d’étatiser les espaces maritimes. Des espaces maritimes unifiés se sont morcelés et de nouveaux se sont recomposés au gré des stratégies des Etats-riverains. Le découpage des océans et des mers a d’abord été une question soulevée par les législateurs avant de l’être par les océanographes et les biologistes. Après des décennies de tensions, la Conférence de Montego Bay de 1982 a établi un nouveau droit de la mer et fixé des frontières maritimes. La délimitation de ces nouvelles frontières a été à l’origine de nouveaux conflits pour l’appropriation des océans mais aussi de nouvelles formes de coopération et d’invention territoriale qui favorisent le passage de "territoires maritimes de confins" à des "territoires maritimes partagés".
- Une approche par les migrations et les flux maritimes : l’unité des mers est créée par les déplacements des hommes, marchands, armateurs mais aussi migrants, réfugiés et contrebandiers ainsi que par les routes maritimes. La nature fluide du milieu maritime favorise le développement d’échanges multidirectionnels, licites ou illicites, mais aussi la formation d’une communauté de cultures. Cependant, du fait de système politique défaillant sur terres, les mers sont aussi des espaces d’errance et des cimetières pour des migrants à qui est dénié le droit d’accoster. Des populations, vivent également en permanence sur la mer, que ce soit des nomades des mers, comme les bajaus en Asie, mais aussi des marins, originaires de pays à faibles revenus comme les philippins, qui partent sans jamais arriver nulle part et vivent en permanence sur le lieu de travail.
- Une approche par les espaces terrestres structurant les flux maritimes : villes portuaires, ports de transbordement, ports secs sont autant de noeuds de flux maritimes, des zones de contacts aux spécificités propres.
- Une approche par la gestion des ressources naturelles. La mer est un réservoir de ressources naturelles : la pêche reste pour de nombreux pays la principale source de protéines et les principaux gisements de gaz et de pétrole se trouvent désormais sous le fond des mers. De simples lieux de passage, les espaces maritimes sont devenus des objets de convoitise et des sujets d’affrontements. Cependant, afin de dépasser les tensions politiques, des pays ont mis en place une gestion commune des espaces disputés, comme des zones communes de développement, et ainsi créé de nouveaux territoires.
-Une approche par l’environnement. Les écosystèmes marins sont de plus en plus fragilisés et menacés notamment par le réchauffement climatique mais aussi par les pollutions émanant des
littoraux et du trafic maritime. Même si les conflits d’intérêts sur le partage des ressources maritimes ont largement précédé la question de la gouvernance mondiale des océans, de nouvelles régionalisations prenant en compte les limites des écosystèmes marins émergent depuis le début des années 1990. De plus, le Programme pour les mers régionales des Nations Unies souligne que c’est à l’échelle régionale et non mondiale qu’il est possible de résoudre les problèmes environnementaux auxquels sont confrontés les mers, les océans et les zones côtières. Cette approche régionale implique une meilleure coopération entre les Etats riverains. Par ailleurs la protection de l’environnement s’est révélée être une cause particulièrement unificatrice et des pays ne parvenant pas à résoudre des conflits de frontières maritimes ont néanmoins décidé de coopérer pour protéger leur environnement marin commun : des projets bilatéraux, sous-régionaux et multilatéraux se sont ainsi multipliés
- Une approche par l’histoire navale. Le fait maritime, l’essor de l’artillerie de marine dans l’Europe moderne, l’existence d’arsenaux qui sont de longue date des hauts-lieux d’intensification du travail sont des thèmes de plus en plus intégrés à l’histoire globale et impériale, recouvrant non seulement les moyens de la puissance mais aussi les circulations de savoir et leurs hybridations (Martine Acerra, Sylviane Llinares). Alors que la navalisation de l’Europe a mobilisé une génération d’historiens, en lien avec l’histoire des systèmes militaro-fiscaux (John Brewer), d’autres études s’ouvrent à l’impact des navigations lointaines sur l’évolution des flottes européennes et remettent en cause une histoire navale largement européano-centrée. Comme l’explique David Plouviez (2017), « Pour avoir une chance d’interpréter plus justement les différents apports à la construction navale, il faut […] passer de l’objet fini aux modalités de sa réalisation et concevoir que l’innovation ne se situe pas uniquement dans “l’invention” de nouveaux modèles mais également dans l’optimisation de l’existant. » Une telle approche sous-tend depuis longtemps l’encyclopédisme de certains navigateurs, visant une technologie générale de l’art nautique dont l’amiral Pâris, au Musée de Marine du Louvre au XIXe siècle est emblématique (Géraldine Barron, 2019). D’autres travaux actuels pointent le rôle de la vapeur, de la mécanisation et de l’électricité dans la croissance des flux inter-océaniques, notamment la formation de nouveaux métiers à bord, nés de ces évolutions énergétiques. Cela n’exclut pas des jeux d’échelles avec le cabotage et la pêche (parfois lointaine, souvent côtière), cette dernière thématique faisant l’objet de recherches nouvelles (Romain Grancher, 2015), à l’intersection de l’histoire des ressources, de l’approche juridique (règles d’appropriation du poisson) et de l’étude des sociétés littorales et des savoirs pratiques développés, transmis mais aussi captés par d’autres groupes sociaux (Guillaume Carnino, 2015).
- Une approche par l’histoire culturelle et sociale.L’histoire des milieux maritimes et de leur perception par le reste des populations, recouvrant l’histoire des sensibilités, a constitué un champ fort de l’histoire sociale, marqué par les ouvrages d’Alain Corbin (Le territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage, 1900) et d’Alain Cabantous (Les citoyens du large, 1995).Les spécificités des villes et villages littoraux (et îliens), la place de l’entre-soi, les modalités d’ouverture (sociabilités cosmopolites dans les ports), les formes du sentiment religieux, de la dévotion (alors que les péris en mer ne peuvent être ensevelis) ont été analysées au-delà des représentations longtemps véhiculées. Les identités nées de l’expérience de la mer imposent un « va-et-vient permanent entre l’océan et la société globale » (A.Cabantous). « Le sceau de la mer » donne leur cohésion aux communautés maritimes « sans pour autant instituer des modèles simples », comme le prouvent la géographie des sociétés maritimes, la pluralité des activités économiques et les modes de reproduction sociale des « microsociétés océanes ». C’est dans ce sillage que se sont développées les études récentes, qui du moins en histoire moderne, ont renouvelé l’étude de la Méditerranée, une mer au coeur de l’héritage braudélien que la dernière génération d’historiens (Gilbert Buti, Wolfgang Kaiser) perçoit comme un espace d’intermédiation mais aussi de litiges commerciaux et maritimes révélateurs de la reconfiguration de cet espace, de sa progressive européanisation juridique qui éclaire « l’invention de la Méditerranée » au tournant des XVIIIe et XIXe siècles.
Nathalie Fau, Liliane Pérez