Organisé par des membres de l’UMR CESSMA et de l’ANR CRITERES
Université Paris Diderot
8 rue Albert Einstein
75013 Paris
Mezzanine du bâtiment Olympe de Gouges
Salle M019
Jeudi 6 novembre de 9h30 à 18h
Vendredi 7 novembre de 9h30 à 12h
PARTICIPANTS ET RESUME DES COMMUNICATIONS
Eveline Baumann
De la normalité du travail vulnérable au Sénégal. Déterminants, défis, réponses
Foisonnement grandissant d’emplois vulnérables et omniprésence de pratiques en marge des normes qui se veulent universelles, y compris dans des emplois supposés « protégés » : ce sont cela les caractéristiques majeures du monde du travail au Sénégal, dont il sera question dans cette communication. Pour les décideurs du pays, les défis sont d’autant plus nombreux que les données chiffrées sur le travail sont peu nombreuses et souvent contradictoires. Comment, dans ce contexte, promouvoir l’emploi, répondre à l’impératif de « travail décent » et assurer au Sénégal une place « respectable » dans le benchmarking international ? Il s’avère que les travailleurs sont, d’une part, largement instrumentalisés à des fins politiques. Les mesures de création d’emplois – et l’on se réfèrera essentiellement à l’ère du président Abdoulaye Wade — sont généralement calquées sur des échéances électorales et consistent en des programmes ponctuels sans véritables études préalables et rarement évalués ex post. D’autre part, les actifs sont de plus en plus considérés comme autant « d’unités-entreprises » au sens foucauldien : l’Etat se décharge sur ses sujets et tant la formation professionnelle que la protection sociale sont supposées être prises en charge par les travailleurs. Cette approche est politiquement explosive, car humainement difficilement supportables, comme le démontre le malaise dans la société sénégalaise actuelle.
Laurent Bazin, Monique Sélim
Redevenir un homme, ne plus être une femme : figures de l’Etat et normes sexuelles de travail (Chine/Algérie)
Cette communication se propose d’interroger d’un point de vue anthropologique les représentations de la dualité sexuelle dans deux situations très contrastées de travail en Algérie et en Chine . Nous montrerons que les rapports sociaux de sexe ,enchassés de façon drastique dans les champs de travail ,ne peuvent être saisis ,dans leur objectivité comme dans leurs modes de subjectivation en dehors de l’Etat, comme producteur de lois mais aussi comme figure imaginaire centrale.La confrontation se développe autour de groupes sociaux situés eux –mêmes à des paliers differents de l’échelle hiérarchique :des femmes chinoises hautement éduquées,des hommes algériens travailleurs du bâtiment. Ce choix inattendu s’explique par la cristallisation des logiques sociales que mettent en scènes les acteurs et les actrices :frustrations et humiliations se répondent en écho à des processus de domination enchevétrés laissant voire échecs et schizes, béances et dérélictions des sujets face aux ordres sociaux .
Yolande Benarosh
Le salariat classique comme modèle de mise au travail au Maroc ? Des réalités internes et externes qui interrogent...
Cette contribution se propose d’interroger le processus d’implantation au Maroc de l’ANAPEC (Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences). L’architecture et les objectifs de l’ANAPEC, qui a été officiellement créée en 2000, sont en tous points comparables à ceux de l’ex-ANPE française (aujourd’hui Pôle emploi), qui a été sollicitée pour accompagner son implantation. Dès lors nous aborderons différentes questions : comment s’opère l’importation d’un modèle institutionnel dans un contexte où « toutes choses sont inégales par ailleurs » ? Que fabrique une société avec des objets institutionnels venus d’ailleurs, les adapte-t-elle à ses réalités et, réciproquement, ces derniers sont-ils susceptibles de façonner ou d’orienter la réalité à laquelle ils s’appliquent ? S’agissant du champ de la politique de l’emploi, ces questions débouchent sur l’interrogation générale suivante : assiste-t-on à « l’invention du chômage et du chômeur au Maroc » ? Et, partant, assiste-t-on à la mise en place d’une société salariale avec les protections et assurances qu’un tel système suppose ou a supposées en France… ou sans lesdites protections ? Ceci dans un pays où ces catégories sont encore institutionnellement inexistantes (l’indemnisation pour perte d’emploi vient d’être votée, 13 ans après la création de l’ANAPEC), et où le salariat du secteur privé (déclaré) ne concerne qu’une faible proportion des travailleurs. A côté de l’éclairage de la question salariale, par la politique de l’emploi, nous mettrons en perspective, pour sonder l’effectivité de la marche en avant du salariat au Maroc, les réalités du tissu productif du pays : depuis le travail informel jusqu’aux implantations de multinationales en passant par les petites et très petites entreprises -qui fournissent la majeure partie des emplois-, l’artisanat et l’agriculture.
Bernard Castelli
Profession délinquant financier : Expériences latino-américaines
La contribution proposée ici tentera d’examiner le profil des financiers ayant eu recours à des pratiques illégales dans le cadre de leur activité professionnelle. Elle s’intéressera non seulement aux particularités délictuelles des fraudes ou des escroqueries diverses par rapport aux normes de contrôle de la licéité du travail financier mais également aux motivations qui sous-tendent la décision de dépasser les contraintes réglementaires de l’environnement socio-professionnel. Au-delà de leur diversité, les parcours biographiques observés reflètent en effet rarement une homogénéité comportementale, un moule originaire commun permettant d’identifier avec clarté les déterminants du passage à l’acte illégal. En revanche, sitôt la transgression réalisée, des revenus additionnels ainsi qu’une reconnaissance sociale en hausse peuvent en partie atténuer les frustrations psychologiques ou les difficultés objectives du métier. Mise à part l’occultation, la délinquance financière revêt un certain nombre de caractéristiques semblables aux opérations de nature légale en termes d’organisation du travail. Il existerait toutefois quatre justifications récurrentes au travail financier illégal :
La première consisterait à obtenir par le dévoiement systématique, le détournement régulier de règles jugées trop contraignantes des avantages individuels et collectifs (matériels ou non). La deuxième prétend montrer l’efficacité supérieure des activités illégales sous la double injonction du rendement personnel et de la performance financière. Dans la troisième, les délinquants expliquent que la finance illégale leur permet de mettre en valeur des compétences inédites, une créativité incoercible souvent bridées par les nombreuses routines économiques de la finance normative (normalisée ?) au quotidien. La quatrième renverrait enfin à une motivation de responsabilité individuelle, de free rider : en raisons des risques encourus, l’illégalité financière aurait la vertu cardinale de favoriser un enrichissement individuel dissocié de la rente financière, en mettant en exergue les « vrais »compétences et talents.
Isabelle Guérin
Les luttes pour le travail décent sont-elles décentes ? L’exemple de l’Inde du Sud
Cette contribution interroge la légitimité des luttes pour le travail décent en s’appuyant sur les pratiques concrètes de sa mise en œuvre dans un exemple précis : la servitude pour dette au Tamil Nadu (Inde du Sud). Qu’il s’agisse de rémunération ou de conditions de travail, cette forme de gestion de la main d’œuvre est en contradiction complète avec les normes dites de travail décent. Elle est très largement présente dans divers secteurs d’activités, en particulier la construction et l’agro-business. On observe aussi qu’elle ne cesse de se renouveler, avec par exemple une localisation plus reculée des unités de production ou encore le recrutement de travailleurs migrants de provenances plus en plus lointaines ou de catégories sociales de plus en plus marginalisées.
Cette transformation récente est une réponse à diverses contraintes : tensions croissantes sur le marché du travail, pression accrue sur les ressources, et enfin pressions des autorités publiques et de la société civile au nom du « travail décent ». A l’exception du travail des enfants, qui décline, les mesures prises pour l’amélioration des conditions de travail ne sont guère suivies d’effets et servent plutôt des intérêts particuliers. Loin d’être un enjeu de lutte sociale et politique, l’idée de ‘travail décent’ est surtout une opportunité d’action, pour différentes catégories d’acteurs : employeurs qui s’en saisissent comme d’un mode de lutte de concurrence et dénoncent leurs concurrents, inspecteurs du travail qui s’en saisissent personnellement comme forme de chantage pour arrondir leurs fins de mois, partis politiques qui en profitent pour recruter des partisans ou encore ONG d’obédience diverse qui tentent d’asseoir leur légitimité. Les travailleurs, en revanche, ne se sentent guère concernés et on expliquera pourquoi. Cette contribution s’appuie sur une recherche menée dans le cadre du projet IOW (bonded labour in the Indian Ocean World).
Gilles Guiheux
Instabilité et précarité de l’emploi en Chine urbaine. Le cas des professions indépendantes
Instabilité et précarité de l’emploi en Chine urbaine. Le cas des professions indépendantes. La contribution reviendra sur les formes non standard d’emploi et montrera comment une partie des trentenaires contestent la norme sociale qui veut que l’entrée dans la vie active se fasse sous la forme d’un emploi stable, combiné à un investissement immobilier et le plus souvent à l’entrée dans la vie conjugale.
Medhi Larbi
A définir
Pascale Phélinas
Comment mesurer l’emploi hors norme des pays en développement
La mesure de l’emploi et du chômage reste l’objet d’un vif débat car elle pose de nombreux problèmes conceptuels et empiriques, qu’il s’agisse de fixer les frontières entre le chômage et l’inactivité ou de déterminer qui est ou qui n’est pas employé de manière adéquate. Ces problèmes se posent avec une acuité particulière dans les pays en développement où les marchés du travail sont marqués par une énorme hétérogénéité des situations qu’affronte la population en âge de travailler. Cette communication montre que la compréhension du fonctionnement des marchés du travail de ces pays gagnerait à rompre avec les conceptions bipolaires de l’emploi telles que travail/hors travail, formel/informel ou auto-emploi/salariat. Elle suggère l’utilisation d’indicateurs additionnels qui permettraient de produire des mesures de l’emploi porteuses de sens pour ces économies.
Bernard Thomann
Processus de normalisation des conditions de travail et de vie et hétérogénéité des formes d’emploi dans l’industrie minière japonaise
L’industrie minière japonaise modernisa ses techniques d’extraction après la restauration Meiji en 1868, mais sa gestion des ressources humaines resta pendant longtemps fondée sur un système de sous-traitance du travail. Avec un mouvement de rationalisation de l’industrie qui s’affirma pendant l’entre-deux-guerres, les plus gros employeurs développèrent des programmes de modernisation de leurs capacités organisationnelles qui les amenèrent à avoir une emprise de plus en plus directe sur leurs salariés, tant dans leur travail que dans leur mode de vie. Nous verrons comment ce processus de normalisation des conditions de travail et de vie des mineurs et de leurs familles, qui se poursuivit après la Seconde Guerre, impliqua, non seulement les employeurs et les syndicats, mais aussi une multiplicité d’autres acteurs, et fut le produit de dynamiques à la fois locales et mais aussi beaucoup plus globales. Nous verrons aussi comment ce processus fut loin d’être hégémonique et comment un grand nombre de petites mines conservèrent des modes de fonctionnement très différents de celles des unités plus importantes.
Yuko Sonobe
Les aides à domicile d’origines étrangères : travailleuses hors normes
En France, ce sont les associations philanthropiques qui exerçaient historiquement l’aide et les services à domicile auprès des personnes âgées ou fragilisées. Ce travail, y compris la garde d’enfants à domicile et les services de ménages chez des particuliers, était considéré comme de « petits boulots » qui ne nécessite aucune qualification. Ce sont des femmes, souvent étrangères et d’origines d’Afrique francophone, qui l’exercent sous de multiples statuts d’emploi formel ou « au noir. » Depuis quelques années, la politique dite des « Services à la personne » est mise en place pour ouvrir le marché aux entreprises privées et transformer ce travail précaire à un vrai « métier » qualifié et cela, en y introduisant des migrantes au chômage. Notre enquête montre cependant que les profiles des aides à domicile d’origines africaines s’écartent largement de ce qui est attendu par cette politique : souvent faiblement scolarisées, elles ont des parcours professionnels et de vie hors normes.